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Droit à l’environnement et droit au bonheur ou la difficile émergence d’un droit au développement durable

Carine David, juriste, Université des Antilles

 

 

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Produit dans le cadre du colloque Bonheur et bien-être dans le droit des États, organisé en 2019 à Angers, ce texte de Carine David explore les liens entre la protection de l’environnement, la quête du bonheur et la notion de développement durable. En s’appuyant sur des concepts philosophiques, juridiques et des exemples de droits émergents, l'autrice met en lumière la difficulté à reconnaître juridiquement des droits liés à l’environnement et au bonheur, tout en démontrant que ces deux droits sont interconnectés dans la perspective d’un développement durable.

« Si les forêts disparaissent, l’homme n’aura plus que son arbre généalogique pour pleurer ». En citant Einstein, l’autrice commence par souligner l’interdépendance entre la protection de l’environnement et le bonheur humain. Un environnement sain est une condition sine qua non pour des conditions de vie acceptables, et donc pour le bonheur collectif.

Cette idée est appuyée par des initiatives internationales, comme celle du Comité Économique et Social Européen, qui relie directement la protection de l’environnement à la croissance du bien-être général et du bonheur national brut (BNB). L’autrice cite également les Objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies, qui représentent une approche globale du développement et mettent en évidence le lien entre environnement et bien-être. 

Bien que le lien entre environnement et bonheur soit évident dans une approche systémique, et de plus en plus admise par les organismes internationaux, l’émergence de ces droits dans le champ juridique est complexe. Historiquement, la quête du bonheur était présente dans les textes fondateurs des démocraties modernes, tels que la Déclaration d’indépendance des États-Unis en 1776 et la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen de 1789. Cependant, à cette époque, l’environnement n’était pas perçu comme un élément clé du bonheur, et la résistance à l’oppression était considérée comme le principal obstacle au bien-être collectif.

L’autrice rappelle qu’étonnamment, Aristote est le premier à avoir une vision globale et moderne du lien entre bonheur et environnement : « si l’individu est un sujet autonome, rationnel […] il doit aussi être capable de faire le lien entre sa capacité d’action propre et la possibilité d’atteindre le bonheur à travers des actions adaptées à son environnement, tant social que naturel ». Elle fait un parallèle avec la théorie des capabilités d’Amartya Sen, selon laquelle les politiques publiques doivent garantir aux individus les ressources nécessaires pour atteindre leurs objectifs personnels et sociaux. Dans ce cadre, les effets du changement climatique apparaissent comme des obstacles majeurs à la réalisation du bonheur.

Malgré l’évidence du lien entre environnement et bonheur, ces deux droits peinent à obtenir une reconnaissance en tant que droits fondamentaux. L’indétermination de ces notions, jugées abstraites ou subjectives, rend difficile leur mise en œuvre juridique. L’autrice souligne toutefois que d’autres droits, comme la liberté ou la fraternité, sont tout aussi abstraits et pourtant reconnus comme des principes fondamentaux. Selon elle, le droit à l’environnement et le droit au bonheur doivent être considérés comme des droits-résilience, visant à garantir la survie de l’humanité face aux crises environnementales actuelles.

L’article met en lumière l’importance des cosmovisions autochtones dans la reconnaissance des droits de la nature. Jean-Marie Tjibaou, leader kanak de Nouvelle-Calédonie, disait que « l’homme sort de la terre [et fait partie intégrante de la nature] ». Cette vision holistique, où l’homme et la nature ne font qu’un, est présente dans de nombreuses cultures traditionnelles et influence de plus en plus les évolutions juridiques.

La doctrine du « Buen Vivir », dans les pays andins, illustre cette approche. Elle prône l’harmonie entre l’Homme et son environnement et rejette l’idée d’une exploitation illimitée des ressources naturelles. Cette philosophie a conduit à des avancées juridiques importantes, notamment en Colombie, où des tribunaux ont reconnu des écosystèmes comme sujets de droits. Des rivières et des montagnes ont ainsi obtenu une personnalité juridique, et des commissions de gardiens de la nature ont été mises en place pour protéger ces écosystèmes.

Ces décisions judiciaires ne sont pas des initiatives isolées. Elles s’inscrivent dans un mouvement mondial en faveur de la reconnaissance des droits de la nature. Des exemples similaires se multiplient dans des pays comme l’Équateur, la Nouvelle-Zélande, l’Inde, et le Bangladesh, où des fleuves, des parcs naturels et d’autres éléments de la nature sont reconnus comme entités juridiques. 

En somme, la reconnaissance du droit à l’environnement et du droit au bonheur constitue un changement de paradigme nécessaire pour un développement durable. Face à la dégradation croissante de l’environnement, les sociétés modernes pourraient s’inspirer des philosophies autochtones afin que le droit à l’environnement et le droit au bonheur ne soient plus perçus comme des abstractions, mais comme des outils juridiques essentiels pour répondre aux crises écologiques et garantir aux générations futures des conditions de vie acceptables.

 

Synthèse proposée par l'équipe LaCAS et validée par l'autrice.

 

Article complet

Requête

Right to the environment and right to happiness or the difficult emergence of a right to sustainable development
Contributeur(s): David, Carine

 

 

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