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Aux sources d’une histoire environnementale globale : une boucle éthiopienne dans les archives de la nature

Guillaume Blanc, historien, Université Rennes 2

 

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Simien

 

 

Dans cet article publié en 2022 dans la revue Sources. Materials & Fieldwork in African Studies (n°4), Guillaume Blanc retrace ses efforts de recherche pour écrire une histoire environnementale de l'Éthiopie à partir du parc national du Simien. Cette démarche s'inscrit dans une réflexion plus large de patrimonialisation, visant à comprendre comment les politiques de conservation de la nature africaine, initiées durant la période coloniale, se sont perpétuées et globalisées après les indépendances.

Les recherches de Guillaume Blanc débutent en 2009 lorsqu'il se rend en Éthiopie pour étudier l'histoire du parc national du Simien, créé en 1969 et classé au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1978. Son approche initiale, influencée par les histoires environnementales nord-américaines et européennes, visait à explorer les luttes institutionnelles, culturelles et matérielles touchant la conservation de la nature. Cependant, l’auteur réalise rapidement que cette grille d'interprétation ne suffit pas pour appréhender la complexité de la réalité historique éthiopienne. Les archives, bien que riches, sont souvent désorganisées et nécessitent un croisement méthodique des sources pour en extraire des informations pertinentes.

Les premiers documents examinés révèlent que la création du parc national du Simien est en partie motivée par le désir de l'État éthiopien de contrôler un territoire difficile d'accès, historiquement rétif à l'autorité centrale. Le décret n° 59 de 1969, conservé à la bibliothèque de l'Ethiopian Wildlife Conservation Authority (EWCA), définit le parc comme une richesse nationale, encadrée par des balises géographiques et réglementée par des lois restrictives. Ces mesures visent alors à imposer une gestion centralisée de la nature, souvent au détriment des pratiques locales d'exploitation des ressources.

Les recherches montrent également que les représentations culturelles de la nature, véhiculées par la documentation touristique et les rapports d'activité internationaux, jouent un rôle crucial dans cette démarche de patrimonialisation. Des brochures et des guides produits par l'Ethiopian Tourism Commission dépeignent le Simien comme un paysage vierge, peuplé d'animaux sauvages, et valorisé pour ses attraits naturels. Cette image idéalisée sert à attirer les touristes occidentaux et à promouvoir la fierté nationale éthiopienne, mais occulte les populations locales installées dans le parc.

Les archives révèlent une tension persistante entre ces populations locales et les autorités nationales et internationales de la conservation. Les régulations imposées et les tentatives de déplacer les villages pour créer une nature "intacte" se heurtent à des résistances passives, la plupart du temps, de la part des habitants dont la subsistance dépend de l'agro-pastoralisme. Les procès-verbaux des gardes du parc et les rapports d'infractions illustrent cette lutte continue pour l'accès aux ressources naturelles.

Guillaume Blanc élargit ensuite son champ de recherche pour inclure une dimension globale, examinant la circulation des experts de la conservation entre l'Afrique et l'Asie tout au long du XXe siècle. Ces professionnels occidentaux de la nature, initialement formés dans un contexte colonial, continuent d'influencer les politiques internationales de conservation après les indépendances. Leurs rapports et recommandations montrent une vision persistante de la nature africaine comme dégradée par les pratiques locales, justifiant ainsi des interventions externes pour sa préservation.

Le cas du walia ibex, un bouquetin endémique du Simien, en est un exemple frappant. Les rapports successifs des experts internationaux signalent une augmentation de la population de cette espèce, passant de 150 individus en 1963 à 925 en 2018. Pourtant, ces mêmes rapports continuent de décrire la situation comme critique, attribuant la menace à une supposée surpopulation humaine. Cette contradiction souligne la persistance de narratifs déclinistes malgré les données empiriques.

En conclusion, l'article de Guillaume Blanc met en lumière les dynamiques complexes de la patrimonialisation de la nature en Éthiopie. Il montre comment les politiques de conservation, initialement enracinées dans des contextes coloniaux, ont été adaptées et perpétuées par les États postcoloniaux en lien avec les institutions internationales. Ces efforts de patrimonialisation sont marqués par des tensions entre les objectifs de conservation et les besoins des populations locales. En fin de compte, l’auteur appelle à une reconnaissance plus nuancée des histoires environnementales, intégrant à la fois les dimensions locales et globales, institutionnelles et culturelles, matérielles et immatérielles.

 

Synthèse proposée par l'équipe LaCAS et validée par l'auteur.

 

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Requête

Aux sources d’une histoire environnementale globale: Une boucle éthiopienne dans les archives de la nature

Cet article revient sur une trajectoire individuelle et collective de recherches menées, entre 2008 et 2021, en histoire environnementale de l’Afrique. Il revient d’abord sur la tentative d’écrire une histoire environnementale de la nation…

Contributeur(s): Blanc, Guillaume
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