Neelam Pirbhai-Jetha, linguiste, Université des Mascareignes
Dans cet article publié en 2021 dans la revue The Lincoln Humanities Journal, Neelam Pirbhai-Jetha explore le lien entre le bien-être subjectif et le suicide chez les adolescents, à travers une analyse littéraire et sociologique. En s'appuyant sur la nouvelle La corde au cou de Shenaz Patel, ainsi que des études de cas réels à l’île Maurice, l'autrice cherche à comprendre les facteurs sous-jacents au suicide des jeunes et à analyser la manière dont le bien-être subjectif, ou son absence, peut influer sur les tendances suicidaires.
Le bien-être subjectif englobe la satisfaction de la vie et les réactions émotionnelles aux événements. Il est corrélé à des indicateurs de santé mentale, tels que le suicide, qui, bien qu'indiquant une détresse psychologique, peut aussi être influencé par des facteurs biologiques et sociaux. Le suicide est souvent vu comme un indicateur négatif de la santé mentale d'une population, mais il peut aussi être lié à des pressions sociales et des crises personnelles spécifiques. À travers son étude, l’autrice montre que même si les causes du suicide sont multifactorielles, choisir de vivre et trouver le bonheur dépend largement du milieu ou de l’entourage dans lequel évolue l’individu.
La nouvelle La corde au cou illustre ces tensions sociales et familiales qui peuvent contribuer au suicide chez les adolescents. Elle raconte la vie d’Ashika, une adolescente de 13 ans, qui se suicide le jour du mariage de sa sœur aînée. Le récit met en lumière la pression sociale et familiale autour des mariages arrangés, ainsi que l'angoisse croissante d’Ashika face à un environnement familial dysfonctionnel et oppressif. L’autrice y souligne l'hypocrisie sociale, où l'apparence de bonheur est prioritaire, même au détriment du bien-être individuel. Ashika est décrite comme une jeune fille perdue et incomprise, qui observe la fausse convivialité de sa famille et le poids des attentes sociales qui l’entourent. Sa frustration face à son manque de contrôle sur sa propre vie, exacerbée par les problèmes scolaires et familiaux, la pousse à commettre un acte irréparable. L’analyse de ce personnage met en évidence comment l’absence de soutien émotionnel et la pression sociétale peuvent déclencher des idées suicidaires chez les adolescents.
L’autrice fait un parallèle éclairant entre cette nouvelle et les statistiques de l’île Maurice, qui révèlent une forte prévalence des idées suicidaires parmi les adolescents. En 2019, 40 % des cas de suicide concernaient des jeunes âgés de 15 à 19 ans. Ces chiffres montrent l’urgence à comprendre les causes profondes de cette détresse et le lien avec le bien-être subjectif, défini comme une combinaison de satisfaction de vie et de bonheur émotionnel.
À l’île Maurice, l'existence d'un système éducatif perçu comme élitiste, ainsi que les attentes sociales élevées, augmentent la pression sur les jeunes, les rendant plus vulnérables face à l’échec. Des événements tels que des résultats scolaires insatisfaisants ou des déceptions amoureuses sont souvent associés à des suicides d'adolescents, comme en témoigne le cas récent d’un jeune Mauricien s’étant donné la mort après avoir échoué à un examen.
Ces pressions sociales et la perception du bonheur dans une société d’hyperconsommation sont des thèmes centraux dans l’analyse de la nouvelle et des cas réels. La société valorise davantage l’apparence extérieure de réussite et de bonheur, au détriment du bien-être intérieur des individus. L’adolescent se retrouve piégé dans un environnement où il doit se conformer à des attentes sociales irréalistes, ce qui renforce son sentiment d’inadéquation et de désespoir.
L'autrice conclut par la nécessité, pour les institutions telles que la famille, l’école et les services de santé mentale, de mettre en place des stratégies de prévention et d’accompagnement pour lutter contre le suicide chez les adolescents. Elle appelle à un renforcement du soutien psychologique dans les écoles de l’île Maurice, où un psychologue pour plusieurs milliers d’élèves ne peut pas répondre efficacement aux besoins en santé mentale des jeunes. Il est enfin primordial d’encourager la communication au sein même des familles, quitte à explorer les sujets tabous, afin de mieux comprendre les signes avant-coureurs de la dépression et ainsi prévenir les tragédies.
Synthèse proposée par l'équipe LaCAS
Article complet
Dans une étude récente sur le suicide à l’île Maurice, Hoogstoel et al révèlent que 16% des adolescents avaient des idées suicidaires et que plus d’un adolescent sur dix avait pensé aux différentes façons de se donner la mort. Ces chiffres nous…