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Au-delà des murs. Maintenir l’ordre à la frontière franco-britannique

Camille Guenebeaud, géographe, Université Paris 8

 

Cet article, publié en 2021 dans la revue Carnets de géographes (nº15), examine la frontière comme dispositif complexe de gestion des migrations. Il se concentre sur les méthodes de contrôle spatial à la frontière franco-britannique, notamment à travers l'exemple de Calais. Ce symbole des tensions migratoires en Europe illustre parfaitement la dualité des réponses apportées à la migration : d'un côté, une fortification physique par la militarisation et, de l'autre, une stratégie de dispersion et d'invisibilisation des migrants.

En 2019, les ministres de l’Intérieur français et britannique signent un plan d’action pour renforcer la surveillance de leur frontière. Financé par le gouvernement anglais à hauteur de 7 millions d’euros, ce plan succède à une série d’accords conclus depuis près de trente ans qui ont conduit au renforcement et à la militarisation des points de passage vers l’Angleterre.

À partir d’une enquête de terrain menée à Calais entre 2010 et 2015 auprès des acteur·ice·s du contrôle migratoire, l’auteur décrit une série de mesures prises à la suite de ces accords. Parmi elles, l'installation de barbelés, de caméras de surveillance et d'autres dispositifs physiques de séparation.

Cette « production du mur », selon les mots de Claude Raffestin, « autrement dit de la frontière matérialisée et bien visible », symbolise une volonté de bloquer physiquement l'entrée des migrant·e·s, tout en étant une démonstration de pouvoir. Il s’agit d’une approche de la gestion des frontières qui est moins concernée par la sécurité réelle que par la performance de la sécurité, une démonstration de pouvoir destinée à rassurer une population nationale inquiète et à satisfaire des objectifs politiques internes.

La matérialisation de la frontière s'accompagne d'une politique active de dispersion des migrant·e·s, dont les tentatives d'encampement sont régulièrement démantelées par les autorités françaises. Leurs tactiques incluent la destruction des camps temporaires, le harcèlement policier, et les transferts forcés de migrant·e·s vers d'autres régions de France ou même vers d'autres pays européens. Ces stratégies de dispersion visent à invisibiliser les populations migrantes à Calais et à gérer les 'problèmes' loin des yeux du public et des médias.

Dans cet article, Camille Guenebeaud met en évidence l’émergence de la mobilité comme un outil répressif de maintien de l’ordre en contexte frontalier. Les stratégies de mise en mouvement forcée qu’il décrit vise à rendre impossible l’établissement d’un quotidien, et enferment les personnes dans des situations d’errance. Nommée « stratégie d’auto-expulsion » par Éric Fassin à propos de la gestion politique et spatiale des Roms, cette politique « suppose de créer des conditions insupportables pour ceux que l’on prétend faire partir d’eux-mêmes » (Fassin et al., 2014 : 45).

Les dispositifs étudiés à Calais sont révélateurs d'une stratégie délibérée pour contrôler, exclure et déshumaniser les migrant·e·s, qui sont considérés non seulement comme des étrangers, mais aussi comme des menaces potentielles à l'ordre social et politique. Ils parlent d'une volonté de déni de l'espace à ces personnes, les confinant dans des limbes juridiques et physiques où leurs droits sont constamment remis en question.

L'analyse de Camille Guenebeaud met en lumière une frontière instrumentalisée à des fins politiques et de gestion des mouvements migratoires, devenue un théâtre où se jouent des actes de « performance sécuritaire ». Ces performances sont moins des réponses à des menaces réelles qu'une mise en scène destinée à répondre à des angoisses sociales et à des objectifs politiques internes, souvent au détriment des droits et du bien-être des migrants.

 

Synthèse proposée par l'équipe LaCAS et validée par l'auteur.

 

Article complet

Requête

Au-delà des murs. Maintenir l’ordre à la frontière franco-britannique

"La ville de Calais, un des principaux espaces de transit vers l’Angleterre, a été le théâtre depuis plus de vingt ans d’une sécurisation croissante de son port et du site d’entrée du tunnel sous la Manche afin de filtrer et de bloquer les…

Contributeur(s): Guenebeaud, Camille

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