Catherine Wihtol de Wenden, politologue, CNRS
Synthèse d'article
Dans cet article publié en 2012 dans la revue en ligne Humanitaire, Catherine Wihtol de Wenden offre une perspective éclairante sur les dynamiques migratoires à travers le monde. En prenant le contre-pied du discours, largement médiatisé, qui tend à réduire ce phénomène à ses conséquences sécuritaires, l’autrice nous invite à considérer les opportunités induites par les migrations contemporaines, et ce afin d’aborder ses défis plus humainement.
Les flux migratoires internationaux ont triplé au cours des quarante dernières années, concernant près de 240 millions de personnes en 2012, tandis qu'un milliard d’individus se déplacent à l'intérieur de leur propre pays. Ces mouvements sont influencés par divers facteurs tels que les écarts démographiques, les inégalités économiques, les crises politiques, le changement climatique et les facilités de transport. Ils n’entretiennent toutefois que peu de rapport avec les images d’invasion très souvent véhiculées à leur sujet.
L’autrice identifie plusieurs phénomènes de mutations des migrations, le principal d’entre eux étant leur régionalisation : alors qu’environ cent dix millions de migrants vont toujours du Sud au Nord, mais près de 90 millions vont du sud au sud.
La plupart des pays d’accueil sont aujourd’hui des pays du sud, car les plus pauvres se dirigent vers des pays voisins. Notons, par exemple, que ce sont l’Iran, le Pakistan, la Turquie, la Syrie, la Jordanie, le Liban qui ont accueilli ces trente dernières années les victimes de la guerre civile syrienne, des conflits en Irak et des tensions en Palestine.
L’Europe serait-elle moins attractive qu’auparavant ? Assisterait-on à parallèlement à une réorientation des flux migratoires au profit des Suds ?
Les pays européens réunissent une série de conditions facilitant les migrations : le développement des moyens de communication, en particulier l’internet et la téléphonie, la proximité linguistique, l’existence de liens familiaux déjà constitués sur place dans le cadre de migrations antérieures, et dans certains cas le voisinage géographique, sont de puissants facteurs de structuration des flux migratoires, sans compter le passé colonial ou d’anciennes pratiques politiques d’accord bilatéraux de main d’œuvre (les Turcs en Allemagne, les Mexicains aux États-Unis).
Ces mutations sont de plus en plus affectées par les opinions publiques qui tendent à percevoir les migrants comme un « problème ». La mobilité des plus riches et des diplômés est valorisée, quand celle des plus démunis est réprimée. Le migrant fait l’objet de bien des contradictions dans les discours sur la scène internationale comme nationale : sa venue peut répondre à des besoins économiques précis, mais aussi permettre de faire face au défi démographique du rajeunissement des populations, tout en suscitant des inquiétudes relatives à son « intégration » et aux mutations culturelles des sociétés d’accueil.
En offrant une vue d'ensemble éclairée et basée sur des données chiffrées, cet article démystifie les peurs souvent associées aux migrations, soulignant la normalité voire, dans certains cas, la nécessité des mouvements de populations. Ses observations sur les migrations Sud-Sud et les nouvelles dynamiques de migrations internes aux États sont particulièrement pertinentes pour comprendre les flux migratoires modernes au-delà des traditionnelles images de migrations du Sud vers le Nord.
Catherine Wihtol de Wenden illustre ici la complexité de notre rapport aux frontières, à la fois barrière et point de passage. En démontrant que les politiques de fermeture et de sécurisation des frontières tendent à exacerber les problèmes qu’elles prétendent résoudre, elle plaide pour une approche plus ouverte et éthique de leur gestion, qui reconnaisse les migrations comme partie intégrante de la dynamique mondiale et un potentiel enrichissement mutuel plutôt qu'une menace.
Synthèse proposée par l'équipe LaCAS et validée par l'autrice.
L'article complet
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