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Genèse d’un système global surf. Regards comparés des Hawai‘i à la Californie : traditions, villes, tourismes, et subcultures (1778–2016)

Jérémy Lemarié, sociologue, Université Paris Nanterre

 

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Lone Alaia board surfer

Surfeur hawaïen avec l'une des dernières planches de surf Alaia, 1898, Hawaï © Frank Davey

 

Cette thèse, soutenue par Jérémy Lemarié en 2016, à l’Université Paris Nanterre, traite de la transformation de la coutume hawaïenne he‘e nalu en un « système surf mondial », à partir de l’histoire coloniale des Hawai‘i et des États-Unis en 1778. L’auteur y analyse les modalités de diffusion et de réappropriation de la culture hawaïenne en Occident et s’interroge sur les structures politiques, économiques et idéologiques qui ont permis la métamorphose progressive d’une pratique autochtone en un sport actuellement pratiqué par trente millions de personnes dans plus d’une centaine de pays.

Le he‘e nalu, signifiant littéralement « glisser sur une vague », est une pratique polynésienne ancestrale découverte par le capitaine Cook en 1778. « Sport national » hawaïen, le surf était intégré au système politico-religieux autochtone, jouant des rôles à la fois ludiques, politiques, économiques et religieux. Les compétitions étaient des manifestations corporelles de pouvoir et de hiérarchie, auxquelles les chefs (ali‘i) et le peuple (maka‘āinana) participaient activement, créant ainsi un lien étroit entre la pratique du surf et l'identité nationale hawaïenne. 

Avec l'introduction de la religion chrétienne et des échanges commerciaux transpacifiques au XIXe siècle, cette pratique va progressivement devenir une attraction touristique. Après un déclin relatif sous l'influence des missionnaires qui voyaient cette activité comme païenne, le surf est réinventé par les Occidentaux à l'aube du XXe siècle, notamment avec l'émergence du tourisme balnéaire. Des lieux comme Waikīkī deviennent des attractions touristiques majeures, où le surf est mis en scène pour séduire les visiteurs étrangers. Cette réinvention se poursuit en Californie après la Seconde Guerre mondiale, où le surf devient un symbole de la culture de la plage californienne et se développe à travers des médias de masse, tels que les films, les magazines et la musique. Dans les années 1950, le surf s’internationalise, propulsé par la subculture qui l’entoure, sa professionnalisation et la démocratisation du tourisme balnéaire.

La plupart des études sur le sujet ont souvent déconnecté le surf « moderne » de ses racines indigènes. Le he‘e nalu aurait quasiment disparu puis ressurgi, au début du XXe siècle, avec la création de l’Outrigger Canoe Club en 1908 et celle du Hui Nalu en 1911, à Waikīkī. Or, un récent courant de pensée défend l’existence d’une continuité culturelle. Pour étudier ces deux hypothèses, Jérémy Lemarié a retenu trois méthodes d’investigation : une analyse comparative des journaux de bords des voyageurs vers l’archipel des Hawai‘i avec la presse hawaïenne au XIXe siècle ; la réalisation de cinquante entretiens semi-directifs, pour saisir les enjeux de l’appropriation californienne du surf après 1945 ; et une observation participante multi-site de trente mois aux Hawai‘i et en Californie, afin de dégager les modalités contemporaines de l’historicisation du surf.

Ses conclusions soulèvent un concept clé : l’idée de « continuité-dans-la-transformation » du surf. Malgré les changements significatifs dus aux influences culturelles et économiques extérieures, il existe une continuité culturelle entre le he‘e nalu traditionnel et le surf moderne. La philosophie de la glisse reste fidèle à celle du he‘e nalu : les surfeurs modernes adoptent des rituels de préparation et des comportements codifiés qui montrent une continuité de l'approche spirituelle et respectueuse de la mer. L'importance de la communauté dans le surf moderne reflète également cet héritage polynésien. À Hawai‘i, le surf renforçait les liens sociaux, une dimension qui se retrouve aujourd'hui dans les communautés soudées de surfeurs partageant des valeurs communes. Les récits héroïques et les légendes associées aux grands surfeurs de Hawai‘i trouvent leur écho dans la culture surf moderne, où les surfeurs les plus talentueux sont élevés au rang de légendes et de héros. De plus, bien que les techniques et les matériaux de construction des planches aient évolué, les principes de base de leur conception restent inspirés des méthodes traditionnelles hawaïennes. 

La thèse conclut sur l’aspect paradoxal du surf hawaïen au XIXe siècle, qui a fait qu’une pratique traditionnelle affaiblie et convoitée par l'étranger a évolué en une coutume nationale fondamentale. L’avènement du XXe siècle a vu l’impératif touristique façonner le surf moderne en un système global, urbain et sportif, en même temps qu’un objet de réappropriation mémorielle et systématique à l'échelle internationale. Jérémy Lemarié montre toutefois dans quelle mesure le surf moderne conserve des éléments essentiels de son héritage polynésien, illustrant ainsi la résilience et l'adaptabilité des traditions culturelles face à la mondialisation.

 

Synthèse proposée par l'équipe LaCAS et validée par l'auteur.

 

Thèse complète

Requête

Genesis of a Global Surf System. A Comparative Study of Hawai‘i and California: Traditions, Cities, Tourism, and Subcultures (1778-2016)

À partir de l’histoire coloniale des Hawai‘i et des États-Unis en 1778, cette thèse traite de la transformation de la coutume hawaïenne he‘e nalu en un système surf mondial. Le travail analyse les modalités de diffusion et de réappropriation de la…

Contributeur(s): Lemarié, Jérémy
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