1. Vue d'ensemble : une approche pluridisciplinaire
Les études aréales sur le Sahel explorent une région critique de l'Afrique, située entre le Sahara au nord et les savanes soudaniennes au sud. L'interdisciplinarité des recherches sur le Sahel offre une compréhension approfondie des dynamiques en jeu et des stratégies potentielles pour surmonter les obstacles régionaux.
📌 En anthropologie, les recherches montrent comment les divers groupes ethniques adaptent leurs modes de vie aux conditions difficiles de la région, en interaction avec l'environnement et les besoins économiques.
📌 L'analyse des expressions culturelles, via la littérature et les arts, révèle leur rôle crucial dans la préservation de l'identité et la résistance culturelle face aux défis contemporains tels que la mondialisation.
📌 Sur le plan politique, le Sahel est une zone de tensions continues, aggravées notamment par des conflits armés, et une gouvernance souvent fragile.
📌 Économiquement, les recherches s'intéressent à l'agriculture de subsistance et l'élevage, principales activités économiques de la région, et à leur vulnérabilité aux aléas climatiques.
2. Cartographie du Sahel : étude géographique d'une région frontalière
Le Sahel, une bande semi-aride d'environ 5 400 kilomètres de long traversant l'Afrique de l'Ouest à l'Est, est une zone de transition entre le désert du Sahara au nord et les savanes africaines au sud. Des formations montagneuses notables incluent le massif de l'Aïr au Niger, les montagnes du Tibesti au Tchad et le plateau de l'Adrar en Mauritanie. Ces reliefs jouent un rôle crucial dans la modulation des conditions climatiques locales et dans la distribution des populations. Les principaux cours d'eau du Sahel sont vitaux pour les écosystèmes et les communautés humaines. Le fleuve Niger traverse le Mali et le Niger, fournissant de l'eau pour l'irrigation et les besoins domestiques. Le fleuve Sénégal, marquant la frontière entre le Sénégal et la Mauritanie, est essentiel pour l'agriculture et la pêche. Le lac Tchad, dont la superficie a connu une diminution depuis 1972 avant de se stabiliser puis de croître au cours des dix dernières années, reste une ressource en eau essentielle dans la région. Les principales écozones incluent une zone sahélienne dominée par des prairies semi-arides, des arbustes et des acacias, adaptée à l'élevage nomade et à l'agriculture de subsistance ; les savanes soudaniennes situées au sud de la zone sahélienne, et présentant une végétation plus dense et diversifiée, propice à l'agriculture pluviale ; des zones de steppe et de désert au nord, caractérisées par une végétation clairsemée et des sols sablonneux.
3. Traces et trajectoires : l'héritage historique du Sahel
Dès l'Antiquité, des empires puissants tels que le Ghana, le Mali et le Songhaï ont prospéré. L'empire du Ghana était célèbre pour son commerce d'or, suivi par l'empire du Mali, dont Mansa Musa, au 14ème siècle, a marqué l'histoire par sa richesse et son pèlerinage à La Mecque. L'empire Songhaï a pris le relais, atteignant son apogée avant de décliner à la fin du 16ème siècle. Le royaume du Kanem-Bornou, au sud du Sahel, a également joué un rôle crucial dans la région du 9ème au 19ème siècle. Au 19ème siècle, la colonisation européenne a redessiné les frontières, notamment à travers la création par La France de l'Afrique-Occidentale française (AOF), gouvernement unissant plusieurs colonies sahéliennes sous une administration unique. Après les indépendances des années 1950 et 1960, les États sahéliens ont été confrontés à des défis majeurs tels que les conflits internes et la gestion des ressources naturelles. La région a ensuite été marquée par une succession de guerres depuis le début du 21ème siècle, dues notamment l'émergence de groupes djihadistes et de rébellions armées. Les interventions internationales, comme l'opération Barkhane et la MINUSMA, ont tenté de stabiliser la région, avec des résultats mitigés.
Groupe de guerriers Kanembu, gravure publiée en 1892 (Source : Wikipédia)
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4 . Dynamiques sociales au Sahel : regards sur les communautés et cultures
Les sociétés sahéliennes sont caractérisées par une diversité culturelle et une grande résilience face aux défis environnementaux et économiques, le tout fortement influencé par l'islam et les traditions locales. Les communautés comme les Peuls, les Touaregs, les Songhaïs et les Haoussas maintiennent des modes de vie adaptés aux conditions semi-arides. Les Peuls, par exemple, pratiquent la transhumance, déplaçant leurs troupeaux selon les saisons, tandis que les Touaregs, avec leur structure sociale complexe, jouent un rôle central dans la gestion communautaire. L'islam, religion dominante dans la région, façonne profondément les structures sociales et les valeurs. La richesse culturelle du Sahel se manifeste par ailleurs à travers les traditions orales, la musique et la danse. Les griots, conteurs et musiciens, préservent l'histoire et les légendes. La littérature et les arts, comme les récits des Soninkés et les poésies touarègues, sont également des moyens de résistance culturelle et de construction de la mémoire collective. Les défis environnementaux, tels que la désertification et les changements climatiques, obligent les communautés à adapter leurs pratiques agricoles et pastorales. Ces conditions entraînent des migrations internes et transfrontalières.
Un marché aux dromadaires dans la ville d'Omdourman, au Soudan (Source : Wikipédia)
5. Culture et arts
La culture et les arts au Sahel reflètent l'histoire, les traditions et les influences contemporaines de cette région diversifiée. Les communautés sahéliennes, comme les Peuls, les Touaregs, les Songhaïs et les Haoussas, ont des expressions culturelles uniques qui préservent leur identité et leur patrimoine. Les traditions orales, portées par les griots, jouent un rôle central en transmettant l'histoire et les légendes à travers la musique et la poésie. La musique sahélienne, utilisant des instruments comme le kora, le ngoni et le balafon, est variée, allant des chants pastoraux des Peuls aux mélodies touarègues. L'art visuel au Sahel, incluant gravures rupestres, textiles, bijoux et poteries, reflète les croyances locales. Les artisans sont réputés pour les vêtements teints à l'indigo, les tapis tissés à la main et les bijoux en argent. La littérature sahélienne explore des thèmes comme l'identité et la migration, offrant des perspectives profondes sur la vie dans le Sahel.
Focus sur la Kora, harpe-luth d'Afrique de l'Ouest
La Kora est un instrument d’Afrique de l’ouest, originellement support de la transmission du savoir par la tradition orale. C’est une harpe-luth mandingue utilisée notamment au Sénégal, en Guinée, au Mali, en Mauritanie, en Sierra Leone, en Gambie mais son influence dépasse ces frontières. A l’origine, les joueurs de kora sont spécialisés et il n’est pas donné à tout le monde le droit d’en jouer. La Kora était destinée à un usage spécifique, et devait être jouée pendant des moments propices à cet instrument très porteur de sens. Aujourd’hui ces conventions culturelles s’effacent peu à peu et l’instrument s’exporte maintenant en France mais aussi dans le monde.
6. Langues et diversité linguistique
Le Sahel est marqué par une remarquable diversité linguistique, reflet de la richesse culturelle de ses nombreuses communautés. Les langues parlées dans la région appartiennent principalement aux familles nigéro-congolaises, afro-asiatiques et nilo-sahariennes. Parmi les langues nigéro-congolaises, le haoussa et le peul sont prédominantes. Le haoussa, largement parlé au Niger et au Nigeria, sert de lingua franca, facilitant le commerce et les échanges interethniques. Le peul est utilisé par les Peuls à travers toute la région. Les langues afro-asiatiques, comme l'arabe et le tamasheq, ont une influence significative. L'arabe, langue du Coran, est important dans les pratiques religieuses et l'éducation. Le tamasheq, avec son alphabet tifinagh, est un symbole fort de l'identité touarègue. Les langues nilo-sahariennes, telles que le kanuri, enrichissent la mosaïque linguistique du Sahel. Cependant, cette diversité linguistique fait face à des défis. La transmission des langues locales est menacée par les langues coloniales comme le français et l'anglais, dominantes dans l'administration et l'éducation. Les efforts de revitalisation et de promotion des langues locales sont cruciaux pour préserver ce patrimoine unique.
Focus sur les langues mandé
Entretien avec Valentin Vydrin, spécialiste de langues et de linguistique mandé
Valentin Vydrin est professeur des universités à l'Inalco et chercheur spécialiste de langues et de linguistique mandé. Il est rattaché au laboratoire Langage, Langues et Cultures d'Afrique (LLACAN). Dans cet entretien, il revient sur ses principaux thèmes de recherche : le comparatisme mandé, la lexicographie des langues manding et du dan de l’est, les fonctions des tons dans les langues mandé, les tons lexicaux et grammaticaux ; l’écriture nko et l’écriture adjami. Cet entretien s'inscrit dans le cadre du programme I-DEA (Illustration et Documentation audiovisuelles des Études Aréales) qui vise à documenter les langues et les thèmes de recherche des enseignant.e.s-chercheur.e.s en Études Aréales.
7. Gouvernance et croissance : politique, économie et droit
Les pays du Sahel, tels que le Mali, le Niger, le Tchad et la Mauritanie, naviguent entre des défis et des opportunités en matière de politique, d'économie et de droit. Ces nations, héritières de systèmes de gouvernance mêlant structures traditionnelles et héritages coloniaux, font face à des instabilités politiques fréquentes, exacerbées par des coups d'État et des insurrections, notamment de groupes djihadistes. Économiquement, le Sahel est riche en ressources naturelles, telles que les minerais et les hydrocarbures, mais son développement est entravé par des infrastructures insuffisantes et des conditions climatiques difficiles. L'agriculture et l'élevage, secteurs clés, sont particulièrement vulnérables à la sécheresse et à la désertification. Pour stimuler la croissance, des initiatives de diversification économique et des investissements étrangers sont cruciaux. Des programmes comme le G5 Sahel visent à améliorer la sécurité et à promouvoir le développement économique régional. Le cadre juridique quant à lui évolue avec des réformes visant à renforcer l'état de droit et à améliorer la gouvernance. La corruption demeure un obstacle majeur, affectant le développement et la confiance des citoyens envers les institutions.
Au-delà des aspects géopolitiques et militaires, il faut insister sur la résilience des populations qui s’efforcent de survivre dans un environnement naturel et un climat très hostiles. Comme plusieurs textes l’ont montré, elles font preuve de dynamisme pour échanger, se mouvoir et se lancer dans de nouvelles activités comme l’orpaillage. Mais la stratégie de la « terre brûlée » des coalitions antiterroristes avec à leur tête la France, pour reprendre l’expression de Marc-Antoine Pérouse de Montclos, risque de conduire à des crises économiques qui réduiront cette capacité de résilience de ces populations qui voient leurs sources de revenus asséchées par la lutte contre les négoces transfrontaliers clandestins et les trafics, l’immigration vers le Maghreb et l’Europe et l’orpaillage avec la fermeture de plusieurs sites (...) (Grégoire, 2019)
Document
Pour aller plus loin
Entretien avec Géraud Magrin : perspectives sur le développement et la recherche africaniste en Afrique de l'Ouest
Géraud Magrin est professeur de géographie à l’Université Paris 1 – Panthéon-Sorbonne et membre du Pôle de recherche pour l’organisation et la diffusion de l’information géographique (PRODIG, UMR 8586). Ses travaux portent sur les questions de développement et de gestion des ressources en Afrique de l'Ouest. Dans cet entretien, il revient sur son parcours et ses expériences dans la région du lac Tchad et au Sénégal, ainsi que sur les trajectoires de la recherche africaniste en France. Cet entretien est réalisé dans le cadre du programme « Portraits de chercheurs en études aréales » (PEA) de l’Inalco, qui se propose de valoriser les travaux de chercheurs et enseignants-chercheurs spécialistes des études aréales.
8. Ressources de recherche : collection LaCAS
La collection intitulée "Traversées sahéliennes : carrefour de connaissances multidisciplinaires", consultable sur LaCAS data, est un guide pour les chercheurs engagés dans l'étude du Sahel, offrant un accès direct à une gamme étendue de travaux académiques et de projets de recherche. Incluant des contributions d'articles, des descriptions de projets en cours, et des profils d'institutions et de chercheur(e)s, elle met en avant la richesse des approches pluridisciplinaires appliquées à la région. Les thèmes traités vont de l'écologie et la gestion des ressources à la dynamique sociale et politique en passant par l'anthropologie, illustrant la diversité et la complexité des enjeux du Sahel. Chaque entrée est rigoureusement sélectionnée pour sa pertinence, fournissant ainsi une base solide pour la recherche et la compréhension de cette région en évolution.
9. Ressources documentaires
Cette rubrique propose une sélection de ressources visuelles provenant de LaCAS data et offrant un aperçu du mode de vie et de l'environnement du peuple Mossi, établi majoritairement au Burkina Faso. Ces photographies ont été prises dans les années 1980 par divers chercheurs (pour plus d'informations, veuillez cliquer sur "Source").
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Baobab en saison des pluies aux alentours du village mossi de Boassa
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Pays mossi : Intérieur d'une concession
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Boassa : Culture attelée nouvellement introduite au village
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Pays mossi : Meule à grains
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Pays mossi : Yaoghin : Cultures maraîchères en saison sèche : Prise de vue 2/2
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Pays mossi : Yaoghin : Concession familiale récente
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Centre : Pays Mossi et Ouagadougou : Région de Boromo, savane arborée
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Pays mossi : Saison des pluies
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Vue aérienne d'un paysage de savane aux alentours de Boassa (village mossi) en saison des pluies
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Afrique : Afrique de l'Ouest : Burkina Faso : Région Centre : Province du Kadiogo : Tinsouka : Concession Mossi et baobab
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Liliane Hodieb
Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO)
Remerciements
Cet article a été réalisé avec la contribution de Géraud Magrin, professeur à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, spécialiste de géographie politique de l'Afrique.