Benoît Bérard, archéologue, Univ. des Antilles
Publié en 2013 dans l’ouvrage collectif Un continent en partage : cinq siècles de rencontres entre Amérindiens et Français, l’article de Benoît Bérard explore la manière dont le patrimoine amérindien a été intégré dans le discours identitaire des Antilles françaises, participant à la construction d’une identité collective dans une région marquée par un passé colonial complexe et une diversité culturelle riche. Entre réconciliation des mémoires historiques parfois conflictuelles et de reconnaissance des héritages longtemps marginalisés, le processus de valorisation du patrimoine amérindien s'est développé en trois phases distinctes mais interconnectées, chacune jouant un rôle clé dans l'évolution de l'identité antillaise.
La première phase significative de la valorisation du patrimoine amérindien commence en 1935, avec la célébration du tricentenaire du rattachement de la Martinique et de la Guadeloupe à la France. À cette occasion est organisée une exposition présentant les résultats des premières fouilles archéologiques précolombiennes menées en Martinique par le père Jean-Baptiste Delawarde. Bien que cet événement ait principalement visé à renforcer les liens assimilationnistes avec la métropole française, il marque aussi une reconnaissance officielle de l’existence d’un patrimoine distinct dans les Antilles.
La deuxième phase de valorisation se déroule dans les années 1960-1970, marquant les débuts réels de l'archéologie précolombienne dans la région. Des initiatives comme le Congrès d'Étude des Civilisations Précolombiennes des Petites Antilles en 1961 et l'ouverture du Parc des Roches Gravées en 1970 témoignent de l'intérêt croissant pour ce patrimoine. Ces institutions jouent un rôle crucial dans la préservation et la présentation du patrimoine amérindien, malgré la croissance des revendications indépendantistes et un retour aux racines africaines, inspiré par le mouvement de la négritude d'Aimé Césaire.
La troisième phase commence dans les années 1990 et se caractérise par un renouveau de la recherche archéologique et une multiplication des initiatives visant à valoriser le patrimoine amérindien. En Martinique, le Musée départemental d'Archéologie et de Préhistoire, fondé en 1971, entame une transformation majeure pour devenir le Musée des Civilisations Amérindiennes des Petites Antilles (MUCAPA) [ndla : le projet MUCAPA ne voit finalement pas le jour, dû à une alternance politique], élargissant ses collections et revoyant entièrement son programme culturel et scientifique. En parallèle, divers projets de valorisation voient le jour, soutenus par des institutions publiques et des acteurs privés. Ainsi, l’association martiniquaise Karisko mène le programme "Kytangomingo Ema" visant à rétablir les anciennes routes de navigation amérindiennes en utilisant des répliques de pirogues traditionnelles. Ces initiatives soulignent un intérêt croissant pour l’héritage amérindien, qui s'intègre progressivement dans la culture créole locale.
Ce processus de valorisation du patrimoine amérindien est intimement lié à l'évolution de la pensée identitaire dans les Antilles françaises. Pendant longtemps, la question de l'identité culturelle a été dominée par des références européennes, puis africaines. Ce n'est que depuis les années 1990, avec le développement des notions de créolité et d'antillanité, que les différentes composantes de l'identité antillaise, y compris l'héritage amérindien, ont commencé à être pleinement reconnues. La créolité, concept développé par Jean Bernabé, Patrick Chamoiseau et Raphaël Confiant, insiste sur la dynamique historique et sociale propre aux Antilles, plutôt que sur une simple accumulation d'apports extérieurs. La valorisation du patrimoine amérindien, détachée des mémoires douloureuses du colonialisme et de l'esclavage, trouve une place particulière dans ce nouveau discours identitaire.
En somme, l'article illustre la façon dont le patrimoine amérindien dans les Antilles françaises a façonné une identité collective inclusive, célébrant la diversité culturelle locale. En plus de renforcer la cohésion sociale en réconciliant différentes mémoires historiques, cette recherche identitaire a permis de diversifier l'offre touristique des îles. Traditionnellement axée sur le balnéaire, les Antilles françaises attirent désormais un public intéressé par l'histoire et la culture, soutenant ainsi l’économie locale et la préservation de leur riche patrimoine.
Synthèse proposée par l'équipe LaCAS et validée par l'auteur.
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Les Antilles, lieu du premier contact entre Européens et Amérindiens, sont aujourd'hui un des centres majeurs du tourisme mondial. Il s'agit avant tout d'un tourisme balnéaire et de croisière. Cependant, la forte concurrence au niveau planétaire, et…