Cécile Tardy (sciences de l'information, Univ. de Lille),
Michel Rautenberg (anthropologue, Univ. Jean Monnet)
Cet article, paru en 2013 dans la revue Culture & Musées (hors-série La muséologie, 20 ans de recherches), explore les processus de patrimonialisation en Europe occidentale, en examinant comment la notion de patrimoine s'est étendue pour inclure des objets culturels et naturels, matériels et immatériels. Il met en lumière la façon dont ces patrimoines participent à la modernité écologique, politique, économique et culturelle des sociétés occidentales.
La patrimonialisation, terme désignant l'appropriation collective de certains biens, a des origines institutionnelles remontant à la Révolution française. L'abbé Grégoire a associé le patrimoine à la lutte contre le vandalisme et à la glorification de la patrie. Depuis, des figures et des institutions comme l'UNESCO ont contribué à l'élargissement de cette notion, l’adaptant aux transformations sociales. Aujourd’hui, l’évolution de la notion de patrimoine reflète les enjeux contemporains à la fois culturels et environnementaux, comme l’illustre l’adoption en 2003 de la Convention pour la sauvegarde du patrimoine culturel immatériel, qui fait le lien entre patrimoine matériel et naturel.
L'article démontre que le patrimoine, loin de n’être qu’une entité statique, est en fait une construction sociale dynamique qui accompagne l’évolution des sciences et des enjeux sociétaux. Étroitement lié au concept de muséalisation, il a accompagné le terrain de l’ethnologie dans les années 1930 et a contribué au renouvellement de la géographie dans les années 1990 en proposant de nouvelles manières d’aborder les paysages et l’environnement. Au fur et à mesure, la patrimonialisation intègre des éléments variés, qui vont des traditions culturelles aux paysages naturels, reflétant ainsi une interaction continue entre l'Homme et son environnement.
Aujourd’hui, suivre l’histoire de la patrimonialisation, c’est accompagner l’avènement d’une Humanité plurielle et l’émergence de la pensée environnementale.
L’élan de patrimonialisation de la nature est initié par la création du Parc national de Yellowstone aux États-Unis en 1872 et s’est poursuivi avec la Convention mondiale sur la biodiversité signée à Rio en 1992. Ce processus soulève de nombreuses questions sur la gestion des ressources naturelles : le patrimoine naturel est traité comme une ressource évolutive, nécessitant une gestion intégrée et durable des territoires.
En France, des lois et régulations sont mises en place pour protéger les paysages et les écosystèmes, intégrant des approches à la fois économiques et écologiques dans la gestion du patrimoine naturel. Il en résulte une tension entre conservation et exploitation des ressources naturelles, notamment illustrée par les débats sur les appellations d'origine contrôlée (AOC). Celles-ci protègent des traditions agricoles ou alimentaires en garantissant leur origine géographique et leur méthode de production, impliquant l’exploitation de ressources pouvant entrer en conflit avec la conservation stricte de l'environnement. Dans ce contexte, les chercheurs s'intéressent à la patrimonialisation des territoires et à la médiation économique nécessaire pour équilibrer conservation et développement.
L'approche institutionnelle du patrimoine en France, modèle pour de nombreux autres pays, est marquée par une forte intervention de l'État. Cependant, l'article note que les dynamiques patrimoniales sont de plus en plus influencées par des acteurs locaux et des associations, qui jouent un rôle crucial dans la défense et la promotion des patrimoines, souvent en opposition avec les politiques publiques. L'article mentionne l'exemple de l'implication des acteurs locaux dans la sauvegarde des friches industrielles. Le géographe britannique Tim Edensor a montré comment ces sites sont devenus des lieux propices à une créativité sociale et esthétique alternative, souvent indépendamment du soutien des pouvoirs publics. De même, des mobilisations sociales autour de paysages et d'objets culturels locaux, comme le Biodôme de Montréal ou les fêtes populaires en Provence, illustrent comment le patrimoine devient l’objet d’appropriations locales et communautaires qui influencent les politiques territoriales.
L'article conclut que la patrimonialisation est une construction sociale dynamique, intrinsèquement liée aux dynamiques locales et aux enjeux contemporains. Qu’il soit culturel ou naturel, le patrimoine reflète les interactions entre les individus, les communautés et leur environnement, transcendant les simples distinctions entre nature et culture.
Synthèse proposée par l'équipe LaCAS et validée par les auteur·rice·s.
Article complet
Le parti pris de ce bilan exploratoire est de montrer que le patrimoine est une notion dynamique, évolutive, qui ne peut pas être coupée du processus de patrimonialisation qui le fait naître. Le choix a été fait de distinguer les patrimoines…