Le focus Littératures et oralités balkaniques est la première publication LaCAS à avoir été réalisée en étroite collaboration avec un⸱e chercheur⸱euse extérieur⸱e au projet. Ses deux autrices font ici le récit du dialogue qu’elles ont entretenu et démontrent en quoi ce dernier a été fructueux à tous points de vue.
Liliane Hodieb (équipe LaCAS)
La collaboration avec Frosa Pejoska-Bouchereau est née de la volonté, au sein de l’équipe LaCAS, d’impliquer les chercheurs dans la conception des dossiers de type Focus, c’est-à-dire ceux réalisés à partir d’entretiens vidéo de chercheurs.
Le but de ce travail collaboratif est double. Il s’agit d’abord d’enrichir au mieux les publications LaCAS. Celles-ci portant sur des aires variées et complexes, elles nécessitent une compréhension fine de tous les sujets et questions qu’elles soulèvent. L’intervention des chercheurs, en plus d’apporter une caution scientifique inestimable, permet surtout d’incorporer des données et analyses récentes peu accessibles au grand public ou aux non-spécialistes. Leurs travaux de recherche apportent des perspectives nouvelles et innovantes, enrichissant ainsi les dossiers d’un point de vue unique sur des aspects moins connus du grand public.
Ensuite, collaborer avec des chercheurs est pertinent pour former l’équipe LaCAS à une meilleure compréhension de la pluralité des sujets qu’elle traite. Il faut savoir que notre équipe a certes une connaissance approfondie de la recherche, mais qu’à ce titre, nous ne sommes pas nécessairement spécialistes de domaines particuliers. Dans le cadre de notre mission sur la plateforme LaCAS, nous devons souvent nous approprier des aires géopolitiques, culturelles ou linguistiques peu familières et qui convoquent des disciplines scientifiques très spécifiques.
La collaboration de l’équipe LaCAS avec des chercheurs permet de développer des compétences analytiques et méthodologiques essentielles pour la création de dossiers de qualité. Ce dialogue constant nous motive à rester à jour avec les avancées scientifiques et à intégrer ces nouvelles connaissances dans notre travail quotidien. Ainsi, non seulement la qualité des dossiers s'en trouve améliorée, mais toute l’équipe LaCAS devient également plus compétente et confiante dans sa capacité à traiter des sujets complexes et diversifiés.
Dans cette optique, contacter Frosa Pejoska-Bouchereau m’est apparu évident dès la conception de la trame du dossier « Littératures et oralités balkaniques », qui est construit autour de son travail de recherche. Les échanges continus avec Frosa ont permis de rassembler un nombre considérable d’informations peu renseignées et difficiles à trouver, tels que des articles et des contributions à des projets scientifiques et culturels de grande envergure, qui sont pourtant très pertinents voire essentiels pour étudier sérieusement le sujet.
De même, la sensibilité et la profondeur du point de vue de Frosa m’ont apporté une plus grande connaissance des études balkaniques et macédoniennes, et de certaines controverses soulevées en leur sein, telles que les différends gréco-macédonien et bulgaro-macédonien, ainsi que la « question macédonienne », située au cœur des études macédoniennes. Apprendre à travailler avec cette diversité de points de vue, inhérente aux études aréales, participe à une appréhension plus critique et nuancée des questions scientifiques de manière générale.
Le travail effectué avec Frosa a depuis donné lieu à beaucoup d’autres publications collaboratives, et va à terme permettre de construire une véritable méthodologie destinée à systématiser le dialogue entre l’équipe LaCAS et les chercheurs.
Frosa Pejoska-Bouchereau (Inalco)
L’aire culturelle se définit par une « certaine homogénéité ». De quel ordre est cette homogénéité ? Historique, étatique, ethnique, culturelle, civilisationnelle, linguistique ? Dans tous les cas, est à l’œuvre une « hégémonie certaine » soumettant la diversité identitaire, linguistique et culturelle à un dénominateur commun, obligeant à d’inéluctables changements de statut.
L’homogénéité peut être rompue par une « nouvelle homogénéité » elle-même mouvante et susceptible de se transformer, voire de disparaître. Toutefois, ce qui n’est plus n’a pas réellement disparu mais forme le palimpseste de la langue. Contraintes à la migration ou à l’exil, les populations emportent avec elles le palimpseste qui s’épaissit d’une nouvelle couche, socle ou fond de la suivante à venir. Mouvement inversé du sans-fond, puisque le palimpseste est ouvert aux ajouts. De même, il est sujet à la perte. Les couches enfouies profondément sombrent dans l’oubli, un fallacieux effacement, dans l’attente du geste archéologique de fouille qui de nouveau les révélera.
L’aréal, s’il est indispensable, n’en est pas moins parcellaire. La compréhension du caractère palimpsestique de la langue mène à une recherche plurielle dans le décentrement et le pivotement psychique.
À quelle aire culturelle appartiennent les études macédoniennes, cette « discipline rare » ? À l’aire culturelle européenne centrale, orientale, du Sud-Est ; byzantine ; slave ; ottomane ; balkanique ; orthodoxe ? À toutes et à d’autres encore. D’où ma démarche pluridisciplinaire (linguistique, littérature, civilisation, anthropologie, oralité), plus encore syncrétique, afin de mieux l’appréhender.
À la faveur de la diversité linguistique, thématique et disciplinaire de l’Inalco, des rencontres dans les centres de recherche, au cours des nombreux événements et projets scientifiques, je peux pleinement développer mon approche plurielle.
La rencontre et la collaboration avec Liliane Hodieb résultent de ce concours de circonstances dans le contexte inalcien [propre à l’Inalco], notamment plidamien [propre au PLIDAM, laboratoire de l’Inalco], et des affinités dans les approches méthodologiques des langues et des cultures. L’intercompréhension des démarches, des enjeux, des perspectives a facilité le travail collaboratif. La curiosité et l’ouverture intellectuelles de Liliane, son souci majeur de la description des langues, notamment celles orales, minoritaires, minorées, en danger, dans l’objectif de leur préservation, y ont également contribué.
Un dialogue est né. Fructueux pour l’une et l’autre. Source d’aventures intellectuelles futures.